Point sur la télémédecine dans le domaine de la neuroradiologie

Télécharger l'article publié dans La Lettre du Neurologue (N°5 Mai 2016) : PDF icon la_telemedecine

Auteur : François Cotton 1,2
1 Service de Radiologie, Centre Hospitalier Lyon-Sud, Hospices Civils de Lyon, Université Claude Bernard Lyon1, Université de Lyon, F-69310 Pierre Bénite, France
2 CREATIS, UMR 5220 CNRS & U1044 Inserm, Université Claude Bernard Lyon1, Université de Lyon, F-69622 Villeurbanne, France 
 
 
Liens d’intérêts : Bayer Schering, Biogen, Bracco imaging, Guerbet, Novartis, Teleconsult France 
 
La télémédecine regroupe les pratiques médicales permises ou facilitées par les télécommunications. Il s’agit d’un moyen particulièrement utile, lorsque les ressources médicales sont rares, pour optimiser la qualité des soins par un échange collégial et médical au profit de patients dont l’état de santé nécessite une réponse adaptée, souvent rapide, quelle que soit leur situation géographique. 
 
La télémédecine fait partie du vaste domaine de l’e-santé, comme le dossier médical électronique, la formation, la prévention, le suivi des maladies et la domotique. On distingue la télémédecine clinique, correspondant à un véritable acte médical à distance définie selon la loi HPST 2009 et la télémédecine informative correspondant quant à elle le plus souvent à des dossiers médicaux discutés avec des pays en voie de développement. Dans l’organisation française de la télémédecine clinique, deux domaines d’applications concernent particulièrement l’imagerie, on parle de téléradiologie : il s’agit du télé-AVC et de la permanence des soins {{PDS}}. 
 
La téléradiologie est assurée dans ces deux domaines par un réseau de radiologues, selon des règles définies et encadrées, soit dans le cadre d’une organisation territoriale, régionale, entre établissements de santé, publics au sein des groupements hospitaliers de territoire {{GHT}} ou publics-privés, soit au niveau national offrant la possibilité d’interprétation par des experts d’organes (neurologie, ORL, imagerie cardio-vasculaire, digestive, urologique, pelvienne et imagerie de la femme, ostéoarticulaire, pédiatrique, oncologique). Quelque soit l’organisation, il semble important de privilégier dans la mesure du possible les ressources locales, territoriales, même si le réseau est organisé de façon collaboratif au niveau national par spécialité d’organes.
 
L’imagerie est devenue une spécialité prioritaire au sein de la télémédecine du fait de l’augmentation croissante de l’activité sur les équipements lourds (10% par an depuis 2005) avec une diminution des effectifs suite à la mise en place du numerus clausus en 1972. Cette diminution de la démographie médicale devrait encore s’accentuer pendant les dix années à venir selon les chiffres publiés en 2014 par le conseil national de l’ordre {{CNOM}},  affectant particulièrement les imageurs dans les déserts médicaux, essentiellement dans les zones rurales. Certains CHG bénéficient par exemple d’un service d’urgence et d’un plateau technique avec un scanner et une IRM mais sans imageur. Inévitablement, l’hôpital doit faire appel à un réseau de radiologues pour assurer la permanence des soins et répondre à la problématique cruciale des urgences mais aussi permettre en journée l’amortissement des équipements, l’acte étant facturé comme un acte médical selon la tarification CCAM en vigueur, et le forfait technique récupéré par la structure hospitalière. La téléradiologie apparait donc comme un levier d’action susceptible d’apporter une réponse organisationnelle et technique aux défis auxquels se confronte l’offre de soins aujourd’hui (rapport d’évaluation médico-économique, HAS, juillet 2013). Un réseau de téléradiologues peut assurer dans la même nuit avec un seul sénior jusqu’à une vingtaine d’établissements de petites tailles, ce qui permet d’une part d’assurer la PDS dans ces établissements et d’autre part de récupérer du temps médical localement.
La télémédecine est encadrée par l’article 32 de la loi sur l’Assurance Maladie. Cet article définit les conditions d’exercice de la télémédecine dans le strict respect du Code de déontologie, mais à distance, en utilisant les technologies de l’information et de la communication appropriés à la réalisation de l’acte médical, toujours sous le contrôle et la responsabilité d’un médecin en contact avec le patient. L’acte de télémédecine est en effet un acte médical à part entière  quant à son indication et sa qualité. Il n’en est surtout pas une forme dégradée. La pratique de la téléradiologie est elle-même encadrée par des règles de déontologie médicale et de bonnes pratiques professionnelles, régit par la charte de téléradiologie, élaborée par le conseil professionnel de radiologie (G4) conjointement avec le CNOM {{Télémédecine, les préconisations du Conseil National de l’ordre des médecins, janvier 2009}}. 
Le G4, créé en 2005, est le conseil professionnel de la radiologie Française associant le Collège des Enseignants en radiologie de France (CERF, universitaires), la Fédération Nationale des Médecins Radiologues (FNMR, médecins libéraux), la Société Française de Radiologie (SFR, société savante) et le Syndicat des Radiologues Hospitaliers (SRH, médecins hospitaliers). La téléradiologie est ainsi organisée par des médecins radiologues, en coopération avec les autres médecins, notamment les neurologues et les professionnels de santé impliqués.  
La charte commune du G4 et du CNOM {{G4/CNOM Charte de téléradiologie - décembre 2014}} rappelle les 9 engagements et les principes éthiques des personnes physiques ou morales impliquées dans le réseau de téléradiologie et précise les règles de déontologie médicale et de bonnes pratiques professionnelles. Elle souligne notamment le fait que la télé-radiologie doit rester au maximum une solution de proximité, avec formation d’un véritable réseau collaboratif avec les différents acteurs de la prise en charge du patient.  
 
1- Etablissement d’un protocole de bonnes pratiques, sur la base des recommandations nationales de la SFR et du G4.
 
2- Enoncé des obligations du télé radiologue et du médecin de proximité comme du personnel qui l’assiste (accès au dossier patient, communication entre le radiologue distant et le site émetteur, modalités de prise en charge du patient en cas d’urgence diagnostiquée sur les premiers éléments reçus par télé transmission).
 
3- Définition des responsabilités de chacun des partenaires au contrat. Trois acteurs sont ainsi responsables: le manipulateur, responsable de la transmission des données et de l’utilisation des protocoles, le demandeur, responsable de la demande clinique et de l’injection éventuelle d’un produit de contraste, et le radiologue, inscrit au CNOM, responsable de la procédure médicale dont l’interprétation. Les directions des services informatiques jouent un rôle important dans les autorisations pour le transfert des données et la solution technique dont la bande passante. 
4- Information du patient et son accord pour sa  prise en charge télé radiologique sont nécessaires, ainsi que sa connaissance de l’identité du télé-radiologue.
5- Système de sécurité pour l’identification du patient, le respect de la confidentialité, et l’identité des médecins cliniciens et radiologues doivent respecter les dispositions de la réglementation française.
 
6- Moyens propres à garantir la protection du caractère secret des informations qui circulent dans le système informatique et chez les prestataires qui les hébergent.
 
7, 8, 9- Annexe technique, annexe financière, annexe sur le contrôle qualité avec les indicateurs médicaux et techniques précisés. Le contrôle qualité est un moyen très efficace pour augmenter le niveau des interprétations et pour rappeler les bonnes pratiques en termes de protocoles, d’analyse des imageries et de structuration des comptes rendus.
 
La place de la télémédecine et de la téléradiologie devient particulièrement importante avec le développement des réseaux de soins dans la prise en charge des AIT et des AVC en phase aigüe, pour poser l’indication de thrombolyse et/ou de la thrombectomie. En France, l'incidence annuelle des AVC est de 1,6 à 2,4 pour 1 000 personnes avec 15 à 20 % de décès aux termes du premier mois et 75 % de survivants avec séquelles. Il s’agit d’un enjeu majeur de santé public en France. Le traitement de référence reposait jusqu’en 2015 prioritairement sur la thrombolyse IV avec un délai de 4h30 après le début des signes cliniques avec mise en place d’une filière de prise en charge spécifique et l’établissement de recommandations (HAS de 2009). Depuis 2008, plusieurs dispositifs de thrombectomie mécanique ont été développés pour recanaliser par voie endovasculaire l’artère occluse à la phase aiguë d’un AVC ischémique. Cette intervention réalisée par un neuroradiologue interventionnel, nécessite de disposer de toutes les conditions techniques d’implantation et de fonctionnement requises pour les activités de neuroradiologie interventionnelle (Décret n°2007-366/367). Ce n’est que récemment que le bénéfice de la thrombectomie a été montré par 5 grandes études publiées dans le New England Journal of Medecine. Une réorganisation profonde des réseaux de neuroimagerie est en cours de réflexion sur l’ensemble du territoire français afin de rendre la thrombectomie efficiente et optimale. Le rôle clé de télé-imagerie dans le cadre de la prise en charge de l’AVC en urgence, notamment pour discuter une thrombectomie, est de permettre une meilleure sélection des patients pour un transfert dans un centre spécialisé adéquat. Cette sélection est basée sur les critères cliniques et radiologiques. Le patient, pris en charge dans les services d’urgences ou dans d’autres structures sans service spécialisé sur place mais pouvant accéder à un plateau d’imagerie, devrait pouvoir bénéficier d’un bilan d’imagerie rapidement. L’imagerie réalisée peut être un scanner cérébral sans injection, un angioscanner ou au mieux l’IRM avec idéalement quatre séquences rapides: diffusion (diagnostique, extension), T2* (hémorragie), TOF (niveau de l’occlusion artérielle intracrânienne) et FLAIR (horaire de l’AVC). Grâce à la téléradiologie, si la transmission des données est efficiente, l’examen peut être interprété rapidement par un neuroradiologue afin de sélectionner les patients pouvant être transférés en extrême urgence pour la réalisation d’une thrombolyse, d’une thrombectomie ou d’une association thrombolyse intra-veineuse et thrombectomie par un centre expert. Le neurologue a un rôle majeur, pouvant intervenir par téléconsultation, formant avec le télé-radiologue un réseau de télémédecine multidisciplinaire. 
 
Compte tenu du caractère d’extrême urgence de la prise en charge des AVC en phase aigüe (« time is brain »), le fonctionnement de la téléradiologie doit être parfaitement optimisé et défini selon les besoins et les ressources disponibles. Chaque réseau doit avoir un organigramme précis reliant les différents centres de prise en charge primaire (services d’urgences notamment) aux centres d’expertises et aux unités neurovasculaires de recours proposant la thrombectomie. L’interprétation  peut en effet être faite dans le cadre de télédiagnostic avec un examen protocolé et interprété à distance si aucun radiologue n’est présent sur place, ou dans le cadre de télé-expertise si le radiologue présent sur place a besoin d’un deuxième avis. Il est essentiel d’avoir un lien constant entre les centres où le malade est pris en charge, l’équipe radiologique locale et à distance, et les manipulateurs (chartre du G4). 
 
Sur le plan technique, il est nécessaire de disposer d’un réseau de transmission rapide (qualité de la bande passante en sortie des hôpitaux/centres experts), sécurisé et sans perte des données, permettant une optimisation des délais entre le moment où l’imagerie est réalisée et le moment où elle est interprétée. Les techniques de prélecture (« prefetching »), forme de mémoire informatique prédictive et temporaire, permettent d’accélérer la transmission des données. Concernant les images post-traitées comme les cartographies de perfusion dans l’AVC ou les images reformatées, celles-ci doivent être traitées à la console puis envoyées sans tarder sur le réseau afin de diminuer le temps de transfert et ainsi accélérer la décision thérapeutique. Ceci est valable dans d’autres domaines de l’imagerie, à partir du moment où la quantité de données est importante avec la nécessité d’un diagnostic rapide, par un exemple lors de l’interprétation d’un scanner corps entier (plus de 2000 images) après un traumatisme chez un patient instable.Le système de transmission des données cliniques, de l’avis neuroradiologique ainsi que de l’avis des acteurs intervenant dans la prise en charge du patient doit être sécurisé. Le contrôle qualité de l’ensemble du processus incluant le compte rendu est fondamental. Enfin les principes fondamentaux de téléimagerie tels que définis dans la charte du G4 ne devront pas être oubliés. 
 
Actuellement la Société Française de neuroradiologie {{SFNR}} composée de neuroradiologues diagnostiques et interventionnels, travaille sur l’élaboration d’une charte afin d’accompagner de façon optimale les réseaux de téléimagerie impliqués dans la prise en charge des AVC en phase aigüe.  La DGOS, en partenariat avec les professionnels de santé, a mis en place un comité de pilotage « thrombectomie mécanique par voie endovasculaire des AVC ». L’évaluation de la thrombectomie des artères intracrâniennes par voie endovasculaire est en attente d’inscription sur la liste des actes et prestations suite à la demande de 3 sociétés savantes à l’HAS. 
 
La télémédecine en neuroradiologie concerne aussi l’expertise et l’interprétation d’examens programmés en journée avec un imageur sur place. La télé-expertise consiste en l'envoi des données produites par une structure médicalisée et disposant d'un radiologue sur place, polyvalent ou non expert dans un domaine particulier, vers une plateforme et un réseau de radiologues ayant un niveau d'expertise supérieur. Cela permet d'analyser les dossiers les plus complexes, et d'avoir l'avis d'experts spécialisés dans leur domaine de compétences avec comme finalité une meilleure prise en charge du patient. Le  téléradiologue  expert  doit  pouvoir  avoir  accès  non  seulement  à l’examen   radiologique   pour   lequel   il   est   sollicité, mais   à   l’antériorité   des   examens, à l’ensemble du dossier médical du  patient y compris les résultats des examens cliniques et biologiques. 
En neuroradiologie, il s’agit essentiellement d’analyse de dossiers en seconde lecture à la demande de confrères radiologues ou non radiologues, et comme dans les pays anglo-saxons de plus en plus à la demande de patients. Parfois ce sont des sollicitations par des sociétés savantes ou par des industriels pour des relectures centralisées comme par exemple lors de la mise en place de protocoles et de compte-rendu structurés, lors du diagnostic et du suivi des tumeurs cérébrales dans les réunion de concertation pluridisciplinaire nationale ou dans l’avenir lors du dépistage de la LEMP chez les patients suivis sous immunosuppresseurs. 
 
Enfin il faut souligner les limites de l’exercice de la téléradiologie : une perte de la relation médecin-patient avec un rôle plus prononcé de technicien de l’image pour le radiologue, la multiplication des demandes d’examens la nuit notamment sans filtre sur les demandes avec parfois des examens redondants et irradiants, la substitution d’actes d’échographie en scanner. Cette dernière problématique concerne surtout les hôpitaux avec un service de pédiatrie. 
 

En conclusion

La téléradiologie s’est considérablement développée en quelques années du fait de la pénurie et des déserts médicaux. Concernant l’imagerie neurologique trois domaines sont concernés :   le télé-AVC et la prise en charge  des patients par thrombolyse et très récemment par thrombectomie dans des centres experts, la permanence de soins et le domaine de la téléexpertise. La téléradiologie apparait comme un levier d’action efficace, inévitable, susceptible d’apporter une réponse organisationnelle, médico-économique et technique aux défis de l’offre de soins aujourd’hui. Elle doit être complémentaire de la prise en charge du patient par les équipes locales, elle doit être raisonnée et personnalisée aux problématiques de l’établissement, en respectant la charte définie par le conseil professionnel de la radiologie Française.