Jacqueline Vignaud
Dr Jacqueline Vignaud

Six mois après la disparition de Jacqueline Vignaud, la douleur de Jacques Moret est intacte. Il la partage lors du congrès annuel 2017 de la SFNR.

 

Hommage au Dr Jacqueline VIGNAUD

Je tiens à remercier la Société Française de NeuroRadiologie, de m’offrir à nouveau, après le regretté Pierre Lasjaunias, l’occasion de faire l’oraison funèbre du Docteur Jacqueline Vignaud ; c’est un grand honneur personnel.

Jacqueline, en préambule je me dois de rappeler et de clamer haut et fort, pour que les moins jeunes se souviennent et que les plus jeunes l’apprennent : tu étais une ambassadrice rayonnante, une véritable « star » internationale de la Neuroradiologie Française, au sommet de ta gloire dans les années 1980. Cela est dit !

Jacqueline mon cher maître, ma chère « maman » spirituelle, ma chère et tendre amie. J’aurais pu t’honorer, selon la tradition et les conventions, en retraçant les étapes de ta carrière, en citant les nombreux livres que tu as écrits, en énumérant les nombreuses sociétés savantes qui t’ont accueilli ou honoré ou que tu as créées. Il me suffisait pour cela de quelques clics sur internet et de quelques « copier-coller » des textes biographiques que d’illustres collègues et amis ont déjà écrits sur ta vie professionnelle, je pense notamment au Professeur Claude Manelfe et à feu le Docteur Kathlyn Marsot-Dupuch. Eh bien non ! Ce n’est pas ce que je ferai. Pour me justifier, j’aurais pu arguer que le plagiat est toujours une pâle et coupable représentation de l’original, mais la vérité est toute autre. J’assume avec fierté et honneur le privilège et le bonheur que j’ai eu de te connaître différemment, de tes nombreux autres élèves, tout au long de ces dix neuf années où nous travaillâmes ensemble. Je me souviens de tous les détails de ce chemin à tes cotés, ou je suis passé de l’élève à l’ami et au confident, voire au complice, traversant et partageant les odeurs d’une vie professionnelle qui t’a exposé aux effluves délicieuses de la rose mais aussi aux relents fétides du purin. C’est donc ton ami qui te parle, qui te pleure et qui t’honore, car tu es l’exemple même de l’honorabilité.

En 1925 tu es née, trente années après la découverte des rayons-X par Röntgen. A cette époque, huit ans se sont écoulés depuis la fin de la première guerre mondiale et l’humanité avait pris conscience de l’extraordinaire apport de la Radiologie dans la prise en charge des blessés. C’est dans ce contexte dramatique que la Radiologie est devenue une authentique  discipline médicale. Tu es née dans un monde ou la Syrie était sous mandat français depuis 1920 alors que la révolte des Druzes éclate ; elle sera réprimée dans le sang, par la puissance mandataire, dont tu viens juste de devenir l’enfant. Peut être est ce à cet instant, dès ton premier cri, que le désir de paix intègrera ton génome. En 2016 tu nous quittes, la Radiologie que tu as si brillamment représentée et la Neuroradiologie dont tu as participé à la création, sont devenues des disciplines médicales éblouissantes, diversifiées et convoitées. Regardons les faits dont aucun n’était prévisible lorsque à peine sorti de l’adolescence je t’ai rencontré pour la première fois, en novembre 1973. Aujourd’hui, les rayons-X disputent la première place aux Ultrasons, qui la disputent aux Protons, qui se mesurent à l’Interventionnel, quelle magnifique danse de l’évolution et des cerveaux !! Cette même année 2016 où tu nous quittes, quatre vingt six personnes nous ont aussi quitté, sauvagement massacrées sur la promenade des Anglais. Dans l’intervalle des quatre vingt onze années de ta vie, la Syrie a dérivé vers le chaos, la France vers l’insécurité et toi Jacqueline Vignaud tu assumes désormais pleinement ta paix. Ah la paix ! Ce mot qui fut la lumineuse philosophie de ta vie et que j’ai tant appréciée à tes cotés, en partageant tes joies et tes peines. La paix, plus qu’un mot, c’était le crédo que tu recherchais à tout prix, mais pas à n’importe quel prix, le déshonneur était sa limite. Combien de fois t’ai-je admiré, face à la constance de ton comportement pacifique, tout en refusant certaines de tes décisions qui me semblaient une faiblesse, alors que ta volonté de consensus pacifique était le plus souvent couronnée de succès. S’il y a une chose que tu n’as pas réussi à me transmettre c’est bien cette paix constitutionnelle qui t’habitait. Je suis le fautif de cet échec, et je le regrette.

Tu choisis donc la Radiologie puis la Neuroradiologie et en son nom je t’en remercie. Dans la paix, tu acceptas que le début de ta carrière soit soumis au « jugement de Salomon » ordonné par le grand ordonnateur de l’époque : le Professeur Hermann Fischgold. Il choisit de mettre le Professeur Jean Metzger, l’un de ses enfants spirituels comme chef de service à l’hôpital de la Pitié et l’autre, toi, Jacqueline Vignaud comme chef de service de Radiologie à la Fondation Ophtalmologique Adolphe de Rothschild, « La FOR », comme tu aimais le dire ; nous sommes en 1960. Quelle qu’ait été la raison de ce choix inéquitable à mes yeux, qui tranchait entre la gloire d’une institution universitaire de renom et la banale normalité d’une institution privée qui cherchait sa voie, je ne peux m’empêcher de penser qu’une partie de l’histoire de la Neuroradiologie parisienne s’est jouée à cette époque. Ton choix pour la paix t’a toujours interdit de me parler de ton ressentiment à ce moment, mais au décès, presque dans tes bras, de monsieur Fischgold en 1982, ton émotion lui faisait honneur et en filigrane, le remerciait de sa décision prise vingt deux années auparavant. A t-il été en toute connaissance de cause le visionnaire éclairé de ta vie professionnelle? A t-il jugé qu’une structure autonome, libre, mobile et réactive à souhait comme la « FOR », correspondait mieux à ta personnalité ? Ou savait-il que tout choix étant une douleur, ta volonté de paix rendrait sa douleur plus douce ? L’intelligence de cet homme me fait pencher pour le visionnaire éclairé ; Il avait raison. Comme tu aimais le dire tu « épouseras » donc la « FOR » et avec elle la cour et les courtisans qui entouraient monsieur le Baron Edmond de Rothschild, un homme humanisme, éclairé et bienveillant. Mais une cour reste une cour avec ses successions capricieuses de grâces et de disgrâces. Il était donc inévitable que tu fisses l’expérience des deux, même si cela était d’une injustice nauséeuse. Dans cet écrin où régnait en maître absolu le lobbying le plus exaltant et le plus dévastateur, ou l’initiative, l’audace, la qualité et l’innovation se disputaient la première place, tu étais parfaitement à ta place, car ton désir de paix occultait le négatif pour ne regarder que l’exaltant. Tu feras briller comme personne, pourtout dans le monde, le nom de la « FOR » sous la bannière et la fierté de la Neuroradiologie Française.

Grace à ton talent, grâce à ton travail, grâce à ton enseignement, dont la qualité était reconnue partout à l’international, aidée en cela par monsieur Gabriel Korach, ton technicien fidèle et talentueux, par le Docteur Marie Louise Aubin qui te sera dévouée pendant vingt quatre ans et par le flamboyant Professeur Pierre Rabischong, la radio-anatomie et la pathologie du rocher et de l’orbite deviendront accessibles, compréhensibles, voire lumineuses pour nous tous. Ce voyage fantastique de la tomographie du rocher à la phlébographie orbitaire, au cathétérisme des vaisseaux cérébraux par voie fémorale, que tu m’enseigneras, aux balbutiements puis à l’explosion du scanner à rayons-X, puis de l’IRM, nous l’avons vécu ensemble, même si à ton grand regret je ne prêtais que peu d’attention aux nouveautés technologiques qui allaient révolutionner la Neuroradiologie. Jacqueline je sais, car tu me l’as si souvent répété, qu’à cette époque tu ne partageais pas l’orientation que tes deux élèves « préférés » : Pierre Lasjaunias et moi-même, voulaient embrasser. Tu m’as souvent mis en garde sur l’incertitude de la voie que nous avions choisie, par pure intuition, ou pure inconscience, ou pur pari sur l’avenir, à savoir la Neuroradiologie Interventionnelle naissante, dont l’acronyme NRI est actuellement tant convoité. Aujourd’hui je mesure combien Pierre et moi te devons ce que nous sommes et ce dont tu peux être particulièrement fière. Il faut imaginer Jacqueline Vignaud dirigeant un service où Pierre Lasjaunias et Jacques Moret organisaient ostensiblement une activité parallèle à l’organisation et à l’orientation générale du service ; Tu acceptais cet état de fait ; tu le soutenais contre ton intuition personnelle ; tu le défendais à tes dépends vis à vis de l’administration, y compris lorsqu’à la fin de l’année 1989, les forces du mal et de la honte, prenaient la décision de cesser l’activité NRI à la « FOR ». C’est bien connu le mal n’a pas de vision, il assouvit un instant et un instinct point ! Le mal aurait pu vaincre, mais heureusement la « FOR » sauvera son activité NRI grâce Mr. Christian Lawrysz, le nouveau Directeur général de l’époque, qui en avait fait un critère indissociable à sa venue. Cette épreuve te blessera mais ta paix te guérira. Tout cela tu le fis parce que ton ouverture d’esprit t’interdisait les a priori négatifs ; Tel le « supporter » d’une équipe de football, tu t’enthousiasmais à chaque avancée, à chaque succès, à chaque reconnaissance de nos travaux et recherches en commun avec Pierre, sans aucune jalousie, mais toujours avec une grande fierté, c’est tout simplement exceptionnel, c’est tout simplement unique.

Jacqueline dans ta fonction de chef d’équipe, dans cette force unique d’inspirer et de soutenir tes élèves, qui aura marqué toute ta carrière, nous les Neuroradiologues, Diagnosticiens ou Interventionnels, toutes celles et tous ceux qui sont aujourd’hui en charge des responsabilités qui furent les tiennes, devrions nous inspirer de ton action exemplaire. Personnellement j’ai essayé de t’imiter, farouchement, j’y ai mis mon cœur, mes forces et mon respect pour toi, mais souvent sans la paix qui caractérisait tous tes actes. Vis à vis de mes élèves, je pense à la fois humblement et fermement, avoir réussi en très grande partie à t’imiter, mais ce que je n’ai jamais su reproduire, c’est de garder la paix, telle que tu le fis, alors même que sur la fin d’une carrière internationale éclatante, reconnue dans le monde par toute la discipline, des lobbies malfaisants ont cherché à t’humilier, dans les dernières années de ton exercice. Là encore la paix t’a fait gagner contre l’irrespect, dans la tourmente tu étais la dignité vainquant la turpitude. Je sais que tu as pardonné car tu me l’as dit ; comment ne l’aurais tu pas fait, la lumière ne peut être ternie ni par l’obscurantisme, ni par la laideur morale. Digne et fière tu as quitté la « FOR », accompagnée pendant les dernières années qui ont précédé ta retraite par des vents nauséabonds. Ils ont soufflé à tes cotés jusqu'à la sortie, comme pour s’assurer que tu franchissais la porte, mais l’honneur était avec toi. Dignes et fiers sont tes collègues et amis de l’hôpital du Val de Grace qui t’ont accueilli, avec ta paix et ton savoir et je pense tout particulièrement au Professeur Yves Cordoliani. Jacqueline, cet hommage en forme d’ode à ta personne, à ta personnalité et à ta vie professionnelle est juste la simple vérité, mais une vérité forte dont j’espère que celles et ceux qui l’entendront ou la liront, s’inspireront pour que brille la Neuroradiologie Française que tu as si magnifiquement incarnée. La nation t’a honoré lorsque tu es devenue Chevalier puis Officier de la légion d’honneur en 1998, je suis honoré avec beaucoup d’autres d’avoir été ton élève.

Jacqueline, tu me manques, je t’aime comme un fils.
 
Professeur Jacques MORET Le 22 mars 2017